La (dé)colonisation numérique. C’est le credo de ce Think Tank international combinant les intelligences des spécialistes africains formés aux mêmes codes du monde libre et rompus aux mêmes paradoxes du progrès. Le professeur Kodjo Ndukuma explique cette dynamique de mutualisation d’expériences au service du continent africain. Ci-dessous, l’intégralité de sa tribune :
À l’orée d’une initiative apparaît une fédération des intelligences numériques autour de la (dé)colonisation numérique. Des spécialistes africains de Master, Mastère, Ingénierie et doctorat spécialisés en la matière se sont réunis le mercredi 17 février 2021 dans les locaux de L’Harmattan, dans ce même Quartier Latin de Paris, Ve arrondissement, que fréquentèrent Césaire et Senghor.
Ce sont aujourd’hui des Mastères spécialisées en data management de l’ISEP Paris (Aurélie Ganga et Aminata Touré), un Ingénieur de l’École polytechnique de Mons (Freddy Mpinda) ou encore des doctorants des universités de Rouen (Mahadi Maifa), de Poitiers (Brozeck Kandolo), de Sorbonne Paris Nord (Jordy Panza), de l’Université de Liège (Félicien Kayombo) qui sont réunis avec le Prof Kodjo (Docteur en droit de Paris 1 Panthéon Sorbonne), pour un Think Tank International des Intelligences Numériques africaines. Conçu TTIINA, il naîtra TINA.
Le but premier est de produire de la pensée et du savoir opérationnel, autour des transformations numériques, avec les connaissances les plus avancées de standard international et les atouts de leur conscience de l’Afrique.
La mosaïque entend assurer une mutualisation des expériences avec des nationaux de multiples origines (Cameroun, Niger, Cote d’Ivoire, RD Congo…) Des éditions d’ouvrages sont également envisagées, en collaboration avec la collection Enjeux et Droits numériques de L’Harmattan International, lancée il y a environ 3 ans.
Il est impérieux de penser l’Afrique numérique, comme Ki-Zerbo, avec les yeux grands comme le monde, dans la globalisation des enjeux normatifs et disruptifs de la transformation numérique. La protection des données personnelles est une priorité, face à leur marchandisation via la collecte des cookies.
Le continent africain est un marché numérique d’aujourd’hui et d’avenir grâce à sa forte démographie, mais il reste sans rempart juridique face à l’économie du Net, ni pôle de maitrise des technologies qui la colonisent.
Il faut allumer le phare – et pas forcément la flamme – de la (dé)colonisation numérique.
Les GAFA, Google, Amazon, Facebook et Apple, (GAFTAM si on ajoute Twitter et Microsoft) diffusent à l’échelle planétaire leur offre de services numériques. Ils véhiculent des valeurs et un système de normes, qui révolutionnent notre vécu du siècle présent.
L’Europe a levé le bouclier de la souveraineté numérique. Le Règlement général sur la protection des données personnelles, le fameux RGPD (2016), en tient lieu d’illustration.
Cependant, le mouvement d’ordre sociétal est aussi disruptif qu’irréversible. Face à l’innovation, l’obligation qui ne laisse aucun choix est l’évolution. Résister c‘est faire le choix de disparaître. Ce n’est pas la rhétorique d’une guerre des civilisations, ni d’une guerre des intelligences.
Il n’est pas question d’une lutte contre une certaine assimilation d’une société mondiale de l’information asymétriquement formée d’un Sillicon Valley qui avance et des frontières identitaires qui reculent. La longue tradition rigoureuse de la mondialisation précédait déjà les portulans du XIIIe siècle. Elle se perpétue après Paul Valéry entre les deux grandes guerres et son « histoire du monde fini qui commence ».
L’apprentissage occidental de la jeunesse intellectuelle africaine s’inscrit dans cette tradition. Après Aimé Césaire et Senghor autrefois prirent la plume pour l’épée sur le champ de liberté pensée, grâce bien entendu à Gutenberg.
L’ère contemporaine est celle de la puissance du code binaire. Les générations porteront encore longtemps les stigmates des griffes de cette tigritude criant à la négritude. Bien mieux, le pavé numérique est d’angle pour bâtir une civilisation de l’universel, plus inclusif et cohésif.
Le Think Tank a conscience de l’«universalisme pluriel » qui appelle d’élever la voix des spécialistes africains formés aux mêmes codes du monde libre et rompus aux mêmes paradoxes du progrès. La décolonisation numérique est le crédo de cet universalisme sous une sorte de « pluralisme de fusion », mais sans dilution de fusion.
Le leitmotiv est d’offrir un langage et une pensée qui servent de pont pour le monde sans frontières de l’Internet, tout en (s’)assurant que penser local contribue à agir global.
Il faut alors fédérer des experts. Il faut alors associer les intelligences numériques africaines des grandes écoles Nord-américaines, de l’Orient, de l’Europe et d’autres horizons. Il alors faut proposer des travaux. Il faut dès lors collaborer avec les institutions qui font le monde numérique et les nations du monde. Les multinationales du numérique opèrent dans plusieurs secteurs.
L’Union européenne agit pour l’intégration de son marché intérieur, en diffusant primauté du droit et démocratie. Sans intégrisme, le Conseil de l’Europe a forte au monde sa Convention de Budapest sur la cybercriminalité. La (cyber)radicalisation djihadiste est autant combattue dans le monde arabo-persique que sur Internet.
La Banque mondiale et les agences onusiennes sont dans le crédo d’un essor numérique pour le bien des populations. L’OIF pense Stratégie du Numérique dans l’espace géoculturel. L’Union Africaine s’est déclarée à Malabo en 2014 en faveur de la convention sur la cybersécurité et la protection des données personnelles.
La ZELAC est un enjeu d’abaissement des frontières, pour un hub économique, dont l’enjeu sous-jacent procède d’une dématérialisation appelant des échanges des données. Et pourquoi pas : saisir l’opportunité de la présidence tournante de l’UA février 2021 à février 2022 ?
Cette génération postcoloniale est celle de l’audace d’espérer et d’agir. Elle est celle des décomplexions coloniales. Elle est celle du renouveau générationnel et du renouvellement des intelligences.
Les enjeux numériques imposent de prendre rendez-vous sous la présidence tournante de la RD Congo pour contribuer à des avancées majeures en matière de la protection des données.
Il faut déployer ces cliniques thématiques qui injecteront de la réflexion dans le corps social africain pour qui la révolution numérique ne doit pas être un mal-être mais un mieux-être.