Intervenant le samedi 4 mai 2019 lors d’un atelier international sur l’Etat de droit et la démocratie en Afrique centrale organisé par l’Union africaine (UA) à l’Hôtel Oubangui à Bangui en République centrafricaine et parlant des Commissions électorales africaines, Prof André Mbata, expert de l’UA, a eu des mots durs contre la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de la RD Congo et son président, Corneille Nangaa, à qui il avait adressé une lettre restée sans réponse depuis mars 2019.
Les mesures (sanctions) qui lui ont été imposées dernièrement par l’Administration américaine présentent Nangaa comme l’un des responsables congolais les plus corrompus qui aurait transformé la CENI en vache à lait pour lui-même, sa famille et ceux qui avaient fait de lui «le Roi du Congo» en matière électorale.
Il est vrai que le droit à la présomption d’innocence ne peut lui être dénié, mais à moins d’un mois de la fin de son «règne», Nangaa est sur le point d’entrer dans l’histoire comme un dirigeant intraitable et fortement imbu de lui-même qui aura réussi à manipuler le Bureau et l’Assemblée plénière de la CENI, au point de la placer constamment dans une situation de rébellion contre les lois de la République au nom d’une indépendance mal assimilée. L’un de ses derniers exploits aura consisté à décrédibiliser les plus haut magistrats de son pays –à l’exception du Président du Conseil d’Etat, Prof Vunduawe – qui se sont discrédités au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) en lui attribuant une compétence que la CSM n’a jamais eue, celle de déclarer «inexistants» (nuls) les Arrêts du Conseil d’Etat, qui sont pourtant définitifs, afin d’imposer un candidat unique à l’élection du Gouverneur de la Province de Sankuru et lui garantir la victoire en reconnaissance de ses bons et loyaux services rendus à l’ancien régime.
Nangaa, qui a refusé d’entendre toutes les voix de droit du dehors et même de l’intérieur de la CENI, aura cru jusqu’au bout que l’indépendance de celle-ci lui permettait de narguer toutes les institutions de la République, y compris le Président de la République, et de choisir entre les décisions judiciaires que la CENI devait exécuter et celles qu’elle devait rejeter.
La Décision n° 050/CENI/BUR/19 du 3 mai 2019 est une belle illustration. Dans cette décision, la CENI déclare avoir tenu compte des Arrêts de la Cour constitutionnelle pour établir la liste définitive des candidats aux élections sénatoriales dans la Province de Mai-Ndombe, en y incluant Patrick Bologna Bologna et Arsène Kingo Mupwene du parti politique Avenir du Congo (ACO), membre du Front Commun pour le Congo (FCC) que dirige l’ancien Président Joseph Kabila.
Au même moment, la CENI de Nangaa continue de rejeter l’Arrêt REA 002 du Conseil d’Etat réhabilitant Joseph Stéphane Mukumadi – qui n’est pas du FCC- comme candidat à l’élection de Gouverneur dans la Province de Sankuru. En outre, la CENI a jusque-là décidé d’ignorer la Décision ROR 010 rendue le mardi 9 avril 2019 par le Conseil d’Etat agissant comme juge des référés et ordonnant notamment à la CENI de suspendre l’organisation de l’élection du Gouverneur de la Province de Sankuru jusqu’à l’exécution de son Arrêt REA 002. Cet Arrêt ne devrait pas être le seul que Nangaa aurait refusé d’exécuter.
Il existerait ainsi une certaine complicité entre la Cour constitutionnelle du Président Benoît Lwamba et la CENI de Nangaa. Les sanctions américaines contre les deux responsables congolais accusés de corruption seraient-elles un fait du hasard? Dans tous les cas, la complicité entre les deux remonterait à l’époque de la «sainte alliance» ou du «Triangle du glissement» CENI-Cour constitutionnelle-Gouvernement, qui avait permis notamment à Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir pendant 7 ans (jusqu’en 2018) alors que son mandat présidentiel de 5 ans avait expiré en 2016.
Cette complicité de longue date ainsi que leur association avec l’ancienne Majorité présidentielle devenue FCC explique pourquoi la CENI de Nangaa, qui n’a jamais contesté les Arrêts de la Cour constitutionnelle du Président Lwamba, a par contre tout mis en œuvre pour s’opposer à ceux du Conseil d’Etat du Prof Félix Vunduawe. La justice étant rendue au nom du peuple, y compris en matière de contentieux électoral, le comportement de Nangaa et de sa CENI constitue une haute trahison contre la Nation.
En outre, les arrêts et jugements ainsi que les ordonnances des Cours et Tribunaux étant exécutés au nom du Président de la République, il appartient au Président Félix Tshisekedi (via le Ministre de la Justice) d’instruire sans délai le Procureur général près le Conseil d’Etat de prendre les mesures nécessaires en vue de l’exécution de l’Arrêt REA 002 réhabilitant Mukumadi comme candidat Gouverneur de la Province de Sankuru ainsi que d’autres arrêts rendus par le Conseil d’Etat comme juge d’appel des arrêts rendus par les Cours administratives d’appel. Faute d’obtempérer, Nangaa devrait être poursuivi en justice pour rébellion contre la Constitution et aucune élection de Gouverneur de Province ne devrait être organisée par la CENI avec un candidat unique.
L’Etat de droit est en péril si des personnes comme Nangaa et des institutions comme la CENI devraient se permettre de décider quelle décision judiciaire appliquer ou non et si le Président de la République, qui est le garant de la Constitution, devrait rester indifférent vis-à-vis de tels actes de rébellion.
D’autre part, l’inaction du Procureur général près le Conseil d’Etat, qui avait surpris l’opinion en désapprouvant le Président du même lors de la réunion du CSM, devrait être considérée comme une démission pure et simple ou un manquement très grave aux devoirs de sa charge qui devrait donc entrainer des sanctions appropriées.
En se rebellant contre la Constitution et les lois de la République et contre d’autres institutions comme le Président de la République et le Conseil d’Etat, Corneille Nangaa aura trahi sa mission au lieu de l’accomplir, entrainant dans sa trahison plusieurs autres membres du Bureau et de l’Assemblée plénière de la CENI, certainement pas tous, qui auront choisi de se taire pour préserver leurs postes et les avantages matériels.
S’ils ne peuvent pas être poursuivis pour rébellion à la fin de leur mandat qui se termine dans quelques semaines, la corruption constitue un crime imprescriptible qui ne saurait être effacé par le temps. Le Président et certains membres de la CENI cités à tort ou à raison dans certains scandales de corruption devraient donc se préparer à en répondre devant les juridictions compétentes. Si le Procureur général près la Cour de cassation actuellement en fonction a fait preuve de complaisance alors qu’il aurait pu ordonner l’ouverture d’une action judiciaire contre Corneille Nangaa et les autres membres de la CENI suspectés de corruption dans la conclusion des marchés par des instances nationales ou étrangères comme l’Administration américaine, on peut espérer que son successeur sera plus rigoureux et plus exigeant dans la promotion de l’Etat de droit prôné par Président Félix Tshisekedi.
Le respect de la Constitution et des lois de la République, la lutte contre la corruption et son corollaire, la lutte contre l’impunité, constitue le nouveau nom de l’Etat de droit que le peuple congolais avait voulu instituer en RDC en adoptant par référendum la Constitution du 18 février 2006 qui régit actuellement le pays.